La fronde des magistrats

Scandale ! le Président a osé dire que « s’il y eu une faute au niveau de la justice ou de la police, il faudra qu’il y ait des sanctions ! ».

Non mais, de quoi se mêle-t-il ?

Au delà des polémiques médiatiques, quel est le problème ?

Il est d’une simplicité confondante :

Thèse #1 :

Personne ne remettra en cause que, dans toute démocratie, l’exercice d’un pouvoir doit nécessairement s’accompagner d’un « ressort de rappel » :

  • Le pouvoir exécutif a le pouvoir de gouverner … mais tous les 5 ans, il remet son mandat en jeu devant le peuple,
  • Le pouvoir législatif a le pouvoir de légiférer … mais il remet son mandat en jeu tous les 5 ans devant le peuple (Assemblée Nationale), ou tous les 6 ans devant les grands électeurs, qui eux mêmes le remettent en jeu périodiquement devant le peuple (Sénat) !
  • Le pouvoir judiciaire a le pouvoir de juger selon la loi … mais il ne remet jamais son mandat en jeu.

Le déséquilibre est flagrant, mais pas si grave car le magistrat ne peut agir qu’en stricte conformité avec la loi, dument codifiée – Ses dérapages sont donc en théorie étroitement encadrés !

  • Mais que se passe-t-il si un magistrat fait une erreur gravissime (et évitable) dans l’application de la loi ?
  • Comment s’assurer que les mécanismes correcteurs seront activés, surtout si les erreurs sont lourdes de conséquence (Bruay en Artois, Outreaux), voire répétitives ?

Allons plus loin !

  • Que se passe-t-il si des magistrats (ceux de Bobigny par exemple) décident, sciemment d’ignorer les lois qu’ils sont censés appliquer ? et donc, au final, créent leur propres lois !
  • Que se passe-t-il si les lois non appliquées sont justement celles qui fixent les peines minimales en cas de récidive ? Et que le peuple se prononce clairement pour une application stricte de ces peines !

Ce ne sont pas les justiciables qui s’en plaindront ! donc les mécanismes judiciaires (appel, cassation) ne fonctionnent pas ! On voit bien que la (vraie) question posée par le président de la République n’est donc pas totalement dénuée de fondement.

Je reformule son affirmation de façon moins médiatique : « Il faudra bien un jour mettre en place un mécanisme de contrôle du pouvoir judiciaire, pour éviter qu’il interprète les lois dans un sens qui ne correspond pas à la volonté du peuple ! »

Nous sommes là dans un strict débat démocratique !

Thèse #2 :

« Fort bien » , disent tout bas la grande majorité des juges intelligents et raisonnables  ! « Mais interpréter le droit est une tâche très difficile ! »

« Nous ne prononçons tous les jours des jugements en notre âme et conscience, mais nous ne serons jamais sûrs que la loi ne pouvait pas être interprétée autrement ! »

« Si donc notre responsabilité est engagée à chaque fois que des jugements sont prononcés ou des ordonnances rendues,  alors la justice va s’enliser dans la procédure ! et notre métier va devenir un enfer. »

Et effectivement, il serait absurde d’introduire des mécanismes de responsabilisation des magistrats vis à vis des jugement rendus (au risque de verrouiller définitivement les mécanismes judiciaires) … Mais quid des erreurs, des interprétations tendancieuses, des juges qui biaisent l’application des lois de la République ?

Thèse #3

« Ouais ! », s’écrie le magistrat inscrit au syndicat de la magistrature, « Mais l’arrière pensée du gouvernement est d’asservir le pouvoir judiciaire au pouvoir exécutif ! Que deviendra la France s’il n’y a plus aucun contre-pouvoir ! »

Je force le trait ! Mais nous ne sommes pas très loin d’entendre ce genre de discours.

Si donc on écoutait le président, un juge déplaisant au pouvoir pourrait ainsi être puni ? on touche là à la sacrosainte séparation des pouvoirs …

Et c’est là que je trouve que l’intervention de Président est plus fine qu’on pourrait le penser au premier abord !

  • il n’a pas dit « Si il y a eu des erreurs, le pouvoir exécutif va punir les coupables !« ,
  • il a dit « il faut qu’il y ait des sanctions ! » , ce qui laisse donc la porte ouverte à un mécanisme interne à la magistrature pour réagir contre les dérives.

En clair, un juge est inamovible au sens où ni l’exécutif, ni le législatif ne peuvent le démettre … mais doit-il rester intouchable même pour la hiérarchie interne de la magistrature ?

Thèse #4

« Des moyens ! des moyens ! » scande le représentant des magistrats qui ose dire sans rougir que le dossier de Tony Meilhon n’a pas été traité faute d’effectif !

Je ne me sens même pas le courage de commenter un argument aussi asthénique et aussi petit par rapport à l’importance du débat.

Ma conclusion

Nicolas Sarkozy, fidèle à sa nature a posé un vrai problème, de façon certes un peu anguleuse, mais en des termes finalement plutôt bien choisis.

Aurait-il été entendu s’il avait parlé de façon plus ronde ?

Les magistrats doivent mettre en place des mécanismes d’auto-correction de leurs erreurs ! et ils s’honoreraient à le faire spontanément.

Je vais vous avouer une chose … j’ai rêvé que les journalistes faisaient la même chose !

Mais ce n’était qu’un rêve …


Petit ajout deux mois après l’écriture de cet article : Je viens de relire cet article deux mois après sa rédaction, et je voudrais poser une question simple :

  • Qui est Tony Meilhon ? … Je sens comme un flottement dans vos regards … vous ne vous en souvenez plus ?
  • et si je vous dis Laetitia ? … ah oui ! euh, c’est une jeune fille assassinée ? c’est ca ?
  • et si je vous dis « déclaration de Sarkozy à propos de la justice » … vous dites « manifestation des juges » mais quant à se souvenir de ce qu’il a dit !!

Intéressant n’est-ce pas … et pourtant la presse n’a pas arrêté de nous en parler pendant de longs jours.

Ceci relativise l’importance des tornades médiatiques organisées périodiquement ! Je vous laisse juges (si j’ose dire).

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