Le lait …

« Les producteurs de lait sont en colère à cause du prix du lait ; ils ont déversé leur production devant la préfecture ! »

Voilà, dans toute sa richesse, l’information que nous dispensent les médias !

Mais au delà de cette narration simpliste, y a-t-il autre chose ?


Bizarre :

Dans ce dossier, plusieurs choses méritent d’être soulignées :

1°) Le lait, contrairement à beaucoup d’autres produits, ne voyage pas beaucoup et fait donc l’objet d’un commerce plutôt « local ».

Les productions étrangères lointaines ne peuvent donc pas avoir un impact significatif sur les prix pratiqués, comme c’est le cas pour les fruits ou la viande par exemple.

2°) Le lait est loin d’être un produit normalisé : avez vous entendu parler du beurre des Alpes ? ou de la tome de Normandie ?  Le « prix du lait » dont les médias nous parlent est donc un prix de référence, correspondant à la qualité la plus basse. Beaucoup de producteurs vendent leur lait à un tarif supérieur en fonction des résultats des analyses qualitatives du produit fourni.

3°) Les acheteurs de lait sont peu nombreux ! La position d’un producteur individuel est donc délicate à gérer ! Il n’est pas simple de se fâcher avec un client … surtout si c’est le seul que l’on ait !

Le débat sur le « prix du lait » doit donc être nettement plus complexe, que ce que les médias nous rapportent !

Les coopératives :

Compte tenu de ces faits, je suis extrêmement surpris que le marché du lait ne se soit pas organisé comme il l’est par exemple pour d’autres productions agricoles.

Que se passe-t-il donc pour les tomates (pour prendre un exemple au hasard) ?

Une coopérative de vente est créée par et pour le monde agricole ; tous les producteurs ou presque y adhèrent.

En rejoignant la coopérative, le producteur prend l’engagement de n’écouler sa production qu’à travers elle ;  s’il ne respecte pas cet engagement, il est exclu de la coopérative et se retrouve seul (peu choisissent cette voie !).

Sur cette base, la coopérative s’occupe  de maximiser le revenu global de ses membres, c’est à dire le prix multiplié par la quantité mise sur le marché :

  • Si la production est basse et la demande élevée, elle implique des négociateurs professionnels rémunérés à la commission et fait monter les prix,
  • Si la production est excédentaire, la coopérative limite volontairement la mise sur le marché pour éviter de créer une saturation du marché, et une chute des prix.

Le résultat est que les revenus pour les producteurs sont à tout instant les meilleurs possibles compte tenu du contexte.

Bien sûr, certains agriculteurs, comme toujours, se plaignent … « je ne comprend pas, les prix sont hauts et la coopérative me refuse ma production ! » … et ils déversent plusieurs tonnes d’artichauts devant la préfecture (artichauts qui de toute façon font partie du volume écarté par la coopérative, et n’auraient pas été vendus !) … Mais si les manifestants se battent pour être indemnisés, ils sont les premiers à ne pas remettre en cause les coopératives !

Pour le lait, les coopératives ne représentent pas les producteurs, mais les acheteurs ! Ce sont pas des coopératives de vente, mais des coopératives d’achat.

Du coup, les producteurs se présentent en ordre dispersés :

  • Si la production est basse, les coopératives jouent sur la concurrence, et sur les prix négociés pour maintenir les prix le plus bas possible,
  • Si la production est excédentaire, la coopérative achète à vil prix, au producteur qui a le plus faim ! (et il y en a toujours un qui casse le jeu !)

Le résultat est que les producteurs perdent sur tous les tableaux.

Et alors ?

Mais pourquoi les producteurs ne s’organisent-ils pas ?

C’est une vraie question ! Plusieurs réponses sont possibles :

  • Les producteurs de lait sont plus individualistes … leur culture « coopératiste » est moindre …
  • Les exploitations sont plutôt petites de sorte que le nombre d’exploitants susceptibles de faire basculer le système est trop élevé …
  • Les productions étant hétérogènes en qualité, la globalisation est difficile à organiser …
  • pas facile de créer une coopérative de vente quand le réseau d’achat est déjà en place …

Pour ma part, je me risquerais à une hypothèse : et si les organisations professionnelles des producteurs préféraient les coups d’éclat médiatiques et les hectolitres déversés devant la préfecture, à la sécurisation de la profession ? et si ils préféraient se battre contre le gouvernement plutôt que contre les industriels de la filière ?

Mais ceci est très certainement de la pure médisance de ma part !

Que faire ?

L’affaire est complexe car les positions des acteurs se sont nouées depuis longtemps.

Le « y-qu’à » doit être insuffisant à régler les blocages :

  • les industriels sont certainement satisfaits de la situation,
  • les organisations professionnelles feront tout pour ne pas être marginalisées et pour rester à la tête de la contestation,
  • les producteurs, excessivement individualistes, vont se comporter de façon erratique et imprévisible.

A la réflexion, je pense que la meilleure façon de procéder serait de convaincre la filière industrielle, qu’elle a interêt à aider les producteurs à s’organiser.

De toute façon, l’industrie se fiche du prix d’achat du lait, puisqu’elle le répercute in fine sur le prix des produits.

Évidemment le consommateur paiera au final … mais il n’y a pas de miracle, dans le grand jeu de la redistribution de la richesse, c’est lui qui paiera de toute façon !! Qui voulez vous que ce soit ?

6 thoughts on “Le lait …

  1. dixit : « Le lait, contrairement à beaucoup d’autres produits, ne voyage pas beaucoup et fait donc l’objet d’un commerce plutôt « local ». »
    Ceci n’est vrai que pour le lait « premier » qui n’est pas commercialisable en l’état, et d’ailleurs pas consommable ni digérable pour beaucoup, et qui doit être traité (tracé, écrèmé et pasteurisé au moins). Les produits dérivés les plus élémentaires qui suivent cette étape sont par contre stockable quelques jours et transportable en masse : crème, lait en poudre, lait allégé, .. etc c’est là que commence le problème des coopératives.
    Pour moi, il n’existe de pas de marché du lait « FRAIS » pour le consommateur comme pour les oeufs, légumes ou fruits.
    Globalement l’Europe a trop de lait et les « transformateurs » qui sont concentrés en profitent : il n’y a qu’à voir le marketing et l’infini variété des marques produits transformés vendus au consommateur final et la rareté des groupes fabriquants

  2. Je suis d’accord sur la description du problème, mais pas sur l’idée de solution !

    Comment demander à des industriels parfaitement organisés de favoriser l’organisation de leurs fournisseurs ?

    Maintenant, je critique, mais je n’ai pas d’idée plus constructive.

  3. Le cas du marché des matières dites « premières » ou « besoins de base » est, peut-être, le seul où l’idée d’une entente entre producteurs pourrait être envisageable légalement (?).
    C’était souvent là où l’état ou les états organisaient et intervenaient dans ces ententes dans la mesure où ils en étaient des acteurs principaux : pétrole, énergie, pain, eau, contrôle des prix divers, suivez le boeuf, Charbon, Acier, autoroutes, logement, …
    Depuis la victoire, par abandon lié à l’échec de l’économie dite dirigée du communisme, les idées du libéralisme économique capitaliste ont pour résultat que tous nos politiques renoncent à toute action pour donner le pouvoir au « Marché ».
    Mais le « Marché » c’est d’abord un équilibre de pouvoir, selon des règles claires, entre acheteur et vendeur : c’est cet équilibre qui n’est pas du tout assuré, ni d’ailleurs la visibilité des règles, par le pouvoir politique d’aujourd’hui.
    Que penser d’un « Marché » qui dit : « produisez on vous dira à quel prix après !  » !?
    Est-ce meilleur que : « produisez çà on verra s’il en a besoin après » !?
    Même avec les variantes : « produisez tant … on vous dira à quel prix après » ou « produisez tant … et vous aurez une indemnité de compensation » ce n’est pas l’équilibre de pouvoir recherché et indispensable à l’existence d’un Marché.

    La solution n’est pas évidente, mais elle doit respecter au moins les règles suivantes :
    1/il doit y avoir suffisamment de canaux de distribution et de transformation concurrents Ce sera le choix du producteur de répartir ses activités entre ces canaux. En ayant plusieurs entrées possibles dans les canaux de transformation. ce sera aux producteurs de s’organiser pour transformer à un stade plus ou moins avancé le produit.
    2/Il faut aussi un marché partiellement « encadré » = volumes à prix fixés à l’avance pour les produits les moins transformés réservés à la production locale. Dans ce cas le volume attribuable et incessible ne pourrait dépasser xx% de la production de l’année précédente ou rester inférieur à un seuil d’exploitation x Nb d’animaux. le prix serait le seuil de rentabilité d’une petite exploitation. ce serait une sorte de « SMIC » du lait peu transformé, point bas de la marge et de la transformation.
    3/il doit y avoir une visibilité dans le temps : un marché à terme des matières premières à 3 mois, 6 mois ou plus, c’est le moyen de donner la même visibilité au vendeur et à l’acheteur = l’équivalent des CDD sur le marché du travail ! La prudence serait de ne pas « titriser » (revente d’options, etc …) ce marché pour qu’il ne soit pas une spéculation.
    4/On ne me fera pas croire que le risque d’évolution de la consommation est considérable ou imprévisible pour les matières premières de type « besoins de base » = la visibilité de la production globale doit être partagée.
    5/les conditions de paiement doivent être courtes : paiement d’un % à la commande et solde 30 jours après la livraison. Le producteur ne peut pas être le banquier du transformateur et encore moins celui du du distributeur. (Je me rappelle que le paiement des « instruments financiers » comme des options se fait CASH !)

    Il y a surement d’autres idées pour ne pas faire du Sahara une pénurie de sable …!

  4. La fin du feuilleton est la suivante :

    Les producteurs et les grands industriels se sont assis autour d’une table et ont revu les prix …

    Je ne connais pas la teneur des accords, mais je me félicite que les industriels aient lu le présent blog et en aient déduit ce qu’ils devaient faire 😉

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